Bilan d’avril 2022 : Vadí ? Nevadí
Bilan de ce mois d’avril 2022 qui est aussi le premier publié sur ce carnet, un article en forme de journal de bord pour garder trace de ce voyage intersidéral. Le bilan est à la fois un compte-rendu des activités de recherche et un espace de réflexions sur les différentes étapes de la thèse.
Ouverture de ce carnet

Le 5 avril je publiais un premier billet sur ce carnet, modestement intitulé Vítám vás, invitation à entrer dans ce nouvel espace dont je n’imaginais pas encore tout à fait la forme. Depuis son ouverture, Ikarie s’est enrichi de rubriques supplémentaires, qui attendent d’être complétées, notamment la section Voi(es)x dont j’attends beaucoup qui est destinée à recueillir la parole d’autres chercheur·se·s pour évoquer leurs travaux. J’ai également crée une “Petite Encyclopédie du cinéma tchécoslovaque“, modeste projet de notices sur des cinéastes, films, institutions etc. On peut actuellement y lire un court article sur le cinéaste Karel Zeman et un autre Karel est à venir.
Passé l’enthousiasme des débuts, la difficulté est d’oser faire entendre ma voix dans cet espace, de le remplir sans le faire déborder. Angoisse de la page blanche, du mot mal choisi, du détail insignifiant. Évidemment la Petite Encyclopédie est une ruse pour faire un détour, continuer d’empiler, ne pas écrire mais laisser s’écrire. Qu’à cela ne tienne, carnet, je te prends comme un défi. L’écriture de ce bilan en est déjà une étape. A voir pour la suite ?
Travaux en cours

Le mois d’avril a été consacré à la préparation d’une communication pour un colloque consacrée aux films interdits (les fameux films du coffre-fort) en 1969-1970. Après avoir défriché une partie de la bibliographie en tchèque, notamment le passionnant ouvrage de Lukáš Skupa Vadí – nevadí ainsi qu’un article de Jaromír Blažejovský publié dans Iluminace, et sans trop en dévoiler sur cette présentation, il en ressort plusieurs choses :
- Le système de censure en vigueur en Tchécoslovaquie est un système complexe qui a évolué à plusieurs reprises. Skupa parle de communication entre différentes instances qui dialoguent et négocient, ce qui brise l’image des grands ciseaux qui mutilent sans vergogne des chefs-d’œuvre disparus.
- Les films interdits ne l’ont pas été uniformément sur l’ensemble du territoire. Jaromír Blažejovský évoque ainsi l’interdiction des films de Věra Chytilová en Bohême du sud.
- Pendant la période dite de normalisation, certains cinéastes ont été interdits de travailler. Dans les faits, très peu ont été licenciés. On peut citer le cas de Pavel Juráček, mis à la porte de Barrandov en 1970. Dans les faits, la plupart sont restés employés du studio mais aucune réalisation ne leur était confié et leurs projets étaient systématiquement refusés.
- Dès 1967, les députés communistes anti-réforme attaquent les cinéastes de la Nouvelle Vague. Blažejovský cite ainsi le discours du député Jaroslav Pružinec au nom de 21 membres de l’Assemblée nationale le 17 mai 1967 contre les films Sedmikrásky (Les Petites Marguerites) et O slavnosti a hostech (La Fête et les invités) : “Nous demandons aux réalisateurs, Němec et Chytilová, quelles leçons de travail, de politique et de divertissement ces ordures sont-elles supposées apporter aux travailleurs des usines, des champs, des chantiers de construction, de l’industrie, et d’autres lieux de travail. Nous demandons à ces travailleurs culturels combien de temps encore ils continueront à empoisonner la vie de tous les travailleurs honnêtes, […] combien de temps encore joueront-ils avec les nerfs des ouvriers et des paysans”.
- Ucho (L’Oreille) de Karel Kachyňa est un chef-d’œuvre, peut-être l’un des huis-clos les plus réussis parmi ceux qu’il m’a été donné de voir, en même temps qu’une démonstration magistrale du fonctionnement de l’administration communiste.
Carnet de lecture

Michèle Lagny, De l’histoire du cinéma, Méthode historique et histoire du cinéma, Paris: Armand Colin, 1992
Michèle Lagny a publié l’un des seuls ouvrages en français à s’intéresser à l’historiographie du cinéma. De l’histoire du cinéma, Méthode historique et histoire du cinéma propose une réflexion sur les raisons qui ont fait de l’histoire du cinéma un discipline hybride, souvent mal-aimée des historiens officiels. “Les historiens institutionnels sont méfiants à propos de l’histoire du cinéma, parce qu’elle leur paraît s’être faite sous l’empire de la subjectivité” (Lagny, p. 19). Cependant, encore aujourd’hui alors que les histoires du cinéma remplissent les étagères des librairies, beaucoup d’auteurs oublient de préciser leurs perspectives historiques ainsi que leurs méthodes. L’ouvrage de Michèle Lagny, quoique discret, revient sur l’ensemble de ces problématiques en replaçant l’histoire du cinéma dans le champ historique, sans les subordonner l’un à l’autre.
Registre de présence

Séminaire Production cinématographique et transculturation : Les Relations entre la France et la RDA – Perrine Val – le 08/04/2022
Perrine Val nous apprend l’existence de collaboration cinématographiques entre la France et la République démocratique allemande (RDA), à l’heure où celle-ci n’était pas encore reconnue internationalement comme un État. En reprenant à Will Higbee le concept de “transvergence”, elle nous montre aussi que les approches transnationales ont leurs limites en ce qu’elles opposent souvent (et c’est bien vrai) cadre national contraignant et cadre transnational libérateur. De là, Perrine Val envisage le cinéma comme un espace de relations et de rencontre entre des identités multiples ainsi que des publics variés. Le sujet m’a rappelé des éléments contextuels primordiaux dans ma propre ère géographique et historique, notamment le rôle central du réseau communiste après la Seconde Guerre mondiale dans la diffusion de films en provenance de républiques démocratiques soviétiques du bloc de l’Est. Une occasion aussi de garder en tête que, contrairement à des croyances bien ancrées, la RDA, mais c’est aussi vrai pour d’autres pays soviétiques, n’étaient en rien repliés sur eux-mêmes mais que leurs relations avec le monde de l’Ouest pouvaient au contraire prendre des formes très variées.
Archives du vivant. Animaux et quelques questions de cinéma – Viva Paci à la Cinémathèque française – le 21/04/2022
Qu’ont à me dire les animaux empaillés, emballés dans des affreux sacs plastique comme des sapins de Noël en fin de vie que film Nicolas Philibert dans Un Animal des animaux ? Viva Paci a montré l’étrangeté visuelle de cette étrange arche de Noé où des animaux morts, conservés dans des réserves sont exposés pour appeler à préserver la biodiversité. D’où au fond l’enjeu dans les pratiques de conservations muséales de ne pas enfermer l’autre dans une image muette et statique, mais de lui laisser sa place. Dans une réflexion en trois temps, de la conservation à l’exposition, de la collecte à l’exhibition, Viva Paci propose de repenser notre regard d’humain face à l’extinction des espèces et de la biodiversité, pour réintroduire une relation. Intriguant, mais surtout urgent.
Dans d’autres galaxies

Comme chaque 24 avril, nous commémorions la rafle des intellectuels d’Istanbul du 24 avril 1915, jour de souvenir du génocide des Arméniens. A l’occasion de la parution de Penser un cinéma de la diaspora arménienne, Brigitte Leloire Kerackian m’a invitée à parler sur Radio Arménie de quelques films pour commémorer le génocide. Le replay est à écouter ici.
Vu, lu entendu
Exposition Romy Schneider à la Cinémathèque française

Comment faire entrer un mythe au musée, a fortiori si la véritable personne qui se cache derrière le mythe semble avoir vécu une vie semée de peines, de difficultés, de douleurs ? L’exposition Romy Schneider contourne dans l’ensemble cette question en laissant à Romy le droit de rester un mythe, de garder ses parts d’ombre, de souffrances, de deuils. A partir d’une très belle scénographie qui rend hommage d’abord à l’actrice et à son travail, ce sont surtout des portraits en creux qui se dessinent, celui de Luchino Visconti raconté dans le cahier de sa scripte Renata Franceschi sur le tournage de Ludwig, de Claude Sautet, le cinéaste qui aimait les acteurs, à travers des documents fascinants, plans de tournage, making-off, notes laissées par l’actrice à son “Clo”. Quelques regrets cependant que l’exposition ne s’aventure pas sur des versants plus intimes, ce que signifie être une femme actrice et belle face à la presse avide du moindre faux pas, non pas pour exposer des éléments privés qui ne nous concernent pas, mais pour remettre en perspective ce destin tragique dans un contexte.
Victoria – série créée par Daisy Goodwin (2016-2019)

De Sissi à Victoria, il y a… sans doute un fossé. Non parce que seulement vingt années séparent leurs naissances, mais parce que seulement trois ans séparent leurs morts. Dans Victoria, série en trois saisons, une très jeune femme devient reine de l’un des empires les plus puissants d’Europe à l’âge de 18 ans. Alors que personne ne la prend véritablement au sérieux, elle doit se frayer un chemin seule pour être à la hauteur de sa fonction de monarque moderne. Daisy Goodwin nous plonge dans les coulisses d’une monarchie constitutionnelle de la seconde moitié du XIXe siècle avec tous les défis contemporains qui l’accompagnent. A partir d’événements historiques réels, le traumatisme de Kensigton où la jeune Alexandrina a été enfermée pendant toute son enfance, son amitié avec Lord Melbourne dit “Lord M”, la crise de la chambre à coucher, le mariage avec Albert, ou encore les tentatives d’assassinat, Victoria explore la vie de l’une des femmes les plus puissantes de son époque mais aussi l’une des moins libres, liée corps et âmes à son État. Une plongée royale dans l’exercice du pouvoir.
En corps de Cédric Klapisch (2022)

Un film de Cédric Klapisch sur une danseuse de ballet était une nouvelle inattendue. Porté par la formidable Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris, En corps raconte tout à la fois la sueur, le travail, les sacrifices, les frissons, la passion de ces jeunes gens qui débutent leurs carrières professionnelles à l’adolescence, sachant que leur temps est compté. A travers une galerie de personnages, le cinéaste pose un regard tendre sur la jeunesse d’aujourd’hui en quête d’elle-même, fière de sa différence, avec une attention toute particulière aux personnages féminins. C’est aussi l’occasion de découvrir le travail du chorégraphe Hofesh Shechter à qui Klapisch confie le rôle de traducteur des émotions en pas de danse. Beau et enthousiasmant.
Le Baromètre du doctorat par Maddy Nightingale

Et pour finir Maddy Nightingale, quadripède bien informée, experte en météorologie doctorale, vous livre son bulletin pour le mois d’avril 2022.
Chères lectrices, chers lecteurs,
Le baromètre du mois d’avril 2022 n’est pas au beau fixe. Votre auteure ne fous fera pas l’affront de rappeler qu’après le naufrage des urnes de ce mois d’avril, il y a de fortes raisons de s’inquiéter. L’actualité de ce mois-ci a été marquée par le plantage de Galaxie, la plateforme de recrutements de l’enseignement supérieur, qui a plongé notamment de nombreux doctorant·e·s en quête de postes d’ATER dans l’inquiétude. Des universités semblent avoir contourné le problème en procédant au recrutement par d’autres voies, ce qui forçaient les candidat·e·s à se positionner sur plusieurs plateformes à la fois. Quelques jours plus tard, c’était au tour du tristement célèbre Parcoursup de connaître une panne, causée également par de trop nombreuses échéances fixées le même jour à la même heure. Votre dévouée auteure s’interroge sur la machine bureaucratique et anonyme qui prend de plus en plus d’ampleur chaque année, au point que pour beaucoup de candidat·e·s, la candidature relève davantage d’un jeu de l’oie géant ou d’un parcours du combattant que d’une recherche d’emploi ou de place dans une formation. Espérons que pour beaucoup de postulant·e·s la réponse sera favorable, présageant un été studieux mais sans angoisse.
Votre dévouée auteure, Maddy Nightingale