Karel Zeman

Karel Zeman est un cinéaste, marionnettiste et animateur tchèque, né le 3 novembre 1910 à Ostroměř petite ville de l’ancien empire austro-hongrois. A l’âge de 17 ans, il répond à une petite annonce et fait ses valises pour Aix-en-Provence où il part étudier le dessin publicitaire, laissant derrière lui ses études de commerce. Il débute sa carrière de cinéaste en réalisant des publicités animées, en France tout d’abord, puis dans le service publicitaire d’un grand magasin de Brno. Il semblerait que ce soit le cinéaste Elmar Klos qui ait fait embaucher Zeman en 1943 dans les studios de Baťa (à prononcer “Batia”) de Zlín, le roi de la chaussure tchèque. Baťa est alors une véritable multinationale qui domine le marché, et compte des usines dans de nombreux pays européens jusqu’au continent américain. Véritable entrepreneur, Tomáš Baťa (1876-1932), natif de Zlín, a réussi à développer spectaculairement le groupe industriel jusqu’à sa mort prématuré en 1932 dans un accident d’avion. Mais la success-story continue avec son demi-frère Jan Antonín Baťa, qui a l’idée en 1935 de créer des studios de film à Kudlov dans la banlieue de Zlín pour y tourner les publicités du groupe. Les plans du bâtiment sont dessinés par l’architecte Vladimír Karfík, alors employé par le groupe, à qui l’on doit notamment la Baťův mrakodrap, l’imposante tour fonctionnaliste Baťa de Zlín1.

Lorsque Karel Zeman arrive au studio en 1943, le pays est passé entre les mains de l’occupant nazi. Hermína Týrlová est arrivée un an plus tôt et commence à réaliser ses premiers films sur lesquels Zeman est animateur. En 1945, avec la fin de la guerre, les Nazis quittent Kudlov et le studio est nationalisé. Il sera rebaptisé en 1948 “Filmové studio Gottwaldov” après le changement de nom de Zlín en l’honneur de Klement Gottwald, premier président communiste tchécoslovaque. C’est aussi à cette époque que Kudlov perd son statut de ville pour intégrer Zlín. Le studio ne produit plus seulement des publicités animées, mais également des films documentaires et éducatifs2.
Dans ses premiers court-métrages à Kudlov, Karel Zeman qui, rappelons-le s’est formé à l’animation sans passer par l’école, fait preuve d’une certaine originalité dans la technique, notamment le très beau Inspirace (Inspiration), réalisé en 1949 qui anime des figurines de verre grâce au stop-motion. Mais dès son premier court-métrage Vánoční sen (Rêve de Noël) réalisé en 1945, Zeman inaugure ce qui fera ses succès de la décennie suivante : le mélange entre marionnettes animées et prises de vue réelles. Le film remporte d’ailleurs le Grand prix international du meilleur court-métrage de fiction au Festival de Cannes 1946.

En 1955, Karel Zeman inaugure en effet une série de grands films avec Cesta do pravěku (Voyage dans la Préhistoire), adapté du roman de Jules Verne. Le film rencontre un immense succès de part et d’autre du rideau de fer jusqu’aux Etats-Unis où il est distribué dans une version modifiée avec ajouts de scènes qui laissent penser que l’histoire est en fait le rêve d’un groupe de jeunes garçons américains qui visitent le Musée américain d’histoires naturelles de la ville de New-York. D’une inventivité inégalée, Cesta do pravěku est un classique du film d’enfance, peuplé de créatures bizarres et de grandes découvertes.
En 1958, porté par le triomphe de Cesta do pravěku, Zeman poursuit avec Vynález zkázy (Invention pour la destruction), second film du cycle vernien, adapté d’un obscur roman des Voyages extraordinaires, Face au drapeau, qui raconte la folie cupide de l’inventeur d’une arme de destruction massive. Zeman et son scénariste, František Hrubín, écrivain et poète, retravaillent la trame initiale du roman pour faire du film une interrogation vibrante sur la question de la responsabilité individuelle. Formellement, la grande prouesse du film est de plonger les personnages dans les gravures de Léon Benett qui illustraient les romans de Verne et dont le lecteur/spectateur est familier. Cela donne lieu à des images d’une spectaculaire beauté comme la nage des dauphins dans une mer toute en rayures. Le film prolonge également l’esthétique industrielle déployée dans les romans de Verne, ce qui a encouragé certains critiques à employer le terme “steampunk” pour le décrire3.
Le retour à ce début de l’industrialisation souligne avant tout le goût de Zeman pour une époque du non encore inventé, un temps d’avant la destruction où tous les espoirs restent permis qu’il mettra encore davantage en scène dans Ukradená vzducholod (Le Dirigeable volé) réalisé en 1967. Au-delà son atmosphère Belle époque et ses motifs Art déco, c’est sans doute le film dans lequel Karel Zeman rend le plus hommage à George Méliès, dont les motifs irriguent toute son œuvre ce qui lui vaudra d’être surnommé le “Méliès tchèque”. Ici, exit le ton sérieux de Vynález zkázy, avec son atmosphère légère, Ukradená vzducholod est un film sur l’insouciance d’une société qui s’approche doucement de la catastrophe, à l’image du train pénétrant dans un tunnel sombre à la fin du film.
Entre Vynález zkázy et Ukradená vzducholod, deux films aux tonalités très différentes sont réalisés, Bláznova Kronika (Chronique d’un fou), une comédie noire antimilitariste réalisée en 1964, et ce qui constitue pour moi le pur chef-d’oeuvre de Zeman, Baron Prásil (Le Baron de Crac), librement inspiré des aventures du baron de Münchhausen. Le film met en scène de nombreuses vedettes de l’époque, à commencer par Jana Brejchová et Miloš Kopecký qui incarnent les rôles principaux. Même Jan Werich et Rudolf Hrušínský y font des apparitions. Zeman y multiplie les prouesses techniques qui s’accompagnent d’une véritable expérimentation sur l’image cinématographique, repoussant sans cesse les limites entre animation et prises de vue réelle4. D’une grâce et d’une beauté sans nom, le film s’envole vers les étoiles tel un astéroïde, quittant pour de bon la banalité des réalités concrètes et triviales.
Après 1968, Karel Zeman réalisera encore un film hybride, mêlant marionnettes et acteurs, Na Kometě (L’Arche de Monsieur Servadac), toujours d’après Verne, avant de repasser à l’animation, terminant la série des Pan Prokouk, personnage en marionnette héros de plusieurs court-métrages, ainsi que trois autres long-métrages entre 1974 et 1980. Moins spectaculaires que ses précédentes réalisations, plus mineurs sûrement aussi, ils conservent cette tonalité à la fois douce-amère et enchantée qui imprègnent ses œuvres des années 1960. Le Festival d’Annecy lui consacre une rétrospective en 1987.
Karel Zeman décède à Zlín le 5 avril 1989, quelques mois avant sametová revoluce (la révolution de velours).
Bibliographie complémentaire
Petr Bubeníček, Subversive Adaptations: Czech Literature on Screen behind the Iron Curtain, New-York : Palgrave Macmillan, 2017.
Jan Hořejší, Karel Zeman, Prague : Český filmový ústav, 1970.
Xavier Kawa-Topor, « Karel Zeman et Jules Verne : le cinéma pour île mystérieuse », in Jules Verne en images, Revue 303, numéro spécial, novembre 2014, p. 118-131.
Florent Le Bot, « Les Chaussures Bata, une des toutes premières firmes globalisées », Histoire d’entreprises, n°10, janvier 2012, p. 20-23.
Notes :
- Lucie Šmardová, “Baťa Film Studio”, Zlín Architecture Manuel.
- Chronologie sur Zlín Film Project.
- Voir John C. Tibbets, “« Fulmination and Fulmigators », Jules Verne, Karel Zeman and Steampunk cinema”, in Julie Anne Taddeo, Cynthia J. Miller, Steaming Into a Victorian Future: A Steampunk Anthology, Lanham : Scarecrow Press, 2013.
- le Musée Karel Zeman de Prague donne un aperçu des techniques expérimentées par Zeman dans ses films.